Allocution lors de la journée porte ouverte du 15 mai

Cette année, nous célébrons les 30 ans de L’En-Droit de Laval. Le 18 mai 1989, notre organisme, qui se nommait, à l’époque, le Schizographe, était incorporé. À ses origines, dans son mandat, il n’y avait pas seulement la défense des droits mais aussi le développement de l’entraide entre ces membres. En 1994, il a été décidé de séparer ces deux mandats. Le Schizographe est devenu l’organisme régional de promotion et de défense des droits en santé mentale, L’En-Droit de Laval, et, à côté,  naissait un groupe d’entraide, le CAFGRAF.

Si, dans les premiers temps sous le nom de L’En-Droit, on n’offrait que des services de défense individuelle des droits, des membres se sont mobilisés pour élargir les perspectives. La seule défense individuelle des droits est insuffisante. On doit influencer le réseau pour changer ses pratiques et on doit se battre pour que des meilleures lois soient votées. Les seules rencontres individuelles entre conseillers-ères et usagers-ères, aussi précieuses soit elles en accumulation d’information, ne règlent pas les injustices. Il fallait donc une mobilisation collective de nos membres et développer une vie associative.

Le choix avait été fait d’accueillir librement nos membres dans nos locaux de manière à développer des rapports de solidarité notamment au niveau du soutien conseil entre pairs au niveau de la défense des droits. Dans les faits, malgré qu’on faisait beaucoup d’ateliers et activités au niveau de la défense des droits, L’En-Droit s’apparentait beaucoup à un organisme d’entraide avec des valeurs alternatives et une forte préoccupation dans la défense des droits.

Lorsque la nouvelle coordination est arrivée en 2010, il y avait certes une volonté de se recentrer sur le mandat de défense des droits. En même temps, le droit à l’entraide et à la réappropriation du pouvoir, on doit se l’avouer, n’était pas très fort parmi d’autres organismes dont celui qui, à l’époque, était le membre officiel du RRASMQ sur le territoire de Laval. Sans qu’il y ait une avancée au niveau de ce droit, il était difficile d’abandonner l’accueil libre à L’En-Droit de Laval.

Par ailleurs, notre implication au niveau du logement social pour des gens qui ont un problème de santé mentale demandait que nous préparions nos membres à la vie collective et à la démocratie dans un milieu de vie. Aussi, il fallait démontrer au réseau que les gens avec un problème de santé mentale pouvaient généralement s’autodéterminer dans la gestion d’un milieu de vie. Aussi, après avoir été mangé au Relais communautaire, les usagers-ères venaient à L’En-Droit pour prendre un café et voir du monde avant de retourner à la maison.

La coexistence entre l’accueil libre et notre travail de défense des droits pouvait entrainer certains bénéfices mais comportaient aussi des coûts et des pertes au détriment de notre mandat de base. Le bilan de cette coexistence n’est pas clair. Nous ne sommes pas dans le complètement positif ou dans le complètement négatif.  Néanmoins, compte tenu de la détérioration du local et sa disposition, il était clair qu’on se privait d’opportunités, notamment, celle d’accueillir des stagiaires en droit et celle de se concentrer plus à fond dans l’organisation d’ateliers et mobilisations.

Aussi, au cours des dernières années, certains indicateurs, montrent une détérioration dans le respect des droits sur le territoire de Laval. Il y a une augmentation du nombre des électrochocs. Depuis 2015-2016, il y a le doublement du nombre de codes blancs dans le département psychiatrique.  Il y a aussi plus de gardes préventives et autorisées sur le territoire lavallois. La Cité de la Santé de Laval est cependant  encore loin d’être dans le palmarès des pires établissements pour les droits en santé mentale au Québec.

Par contre, pour nous, ce qu’on veut c’est un réseau de la santé qui respecte intégralement les droits et qui créent les possibilités matérielles et institutionnelles pour ce faire. En admettant, qu’on respecte intégralement un protocole au niveau des gardes en établissement, il y a eu une hospitalisation forcée qui aurait pu être évitée s’il y avait eu un véritable droit à des services qui convenaient aux besoins de l’usager. Investir dans plus de personnel, plus de mesures alternatives et plus de psychiatrie dans la communauté, ça réduirait le nombre d’hospitalisations forcées et le nombre de mesures d’isolement et de contention.

C’est possible que des mesures d’exception s’appliquent mais quand une grande partie des mesures dites d’exception auraient pu être évitée avec de la prévention, du soutien dans la communauté, une plus grande offre de mesures alternatives, on est bien loin d’un réseau qui respecte intégralement les droits. Quand l’exception n’est plus l’exception, on n’a pas le droit de dire que les droits sont respectés.

Quand on fait appel à la police, c’est pour punir le crime, le mal. Appeler la police pour aider des personnes souffrantes, ce n’est pas très logique. De fait, l’usager qui se fait amener à l’hôpital par un policier, l’usagère qui se fait maitriser à l’hôpital par un agent de sécurité, ne pensera pas spontanément qu’il ou elle reçoit de l’aide, qu’on l’écoute et qu’on veut l’aider à soulager sa souffrance. Se voir associé au mal ne permettra jamais de construire une relation positive. Entre se faire cadrer par une autorité positive et se faire enfermer dans un camp de concentration psychiatrique, il y a une sérieuse marge.  

L’article 118.1 de La Loi sur la santé et les services sociaux nous dit « La force, l’isolement, tout moyen mécanique ou toute substance chimique ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne dans une installation maintenue par un établissement, que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions. L’utilisation d’une telle mesure doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l’état physique et mental de la personne. »

Dans un atelier que nous avons fait dernièrement, selon ce que disaient nos usagers-ères, les mesures appliquées allaient au-delà du risque de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions et étaient loin d’être exceptionnelles. De fait, on voulait contrôler l’agressivité de gens qui ne voyaient pas en quoi ils et elles avaient quelque chose à voir avec le mal. C’est normal de refuser une injustice. Un tel contexte ne favorise pas les soins.

Ça se peut que les psychiatres payés à l’acte ne trouvent pas intéressant aller dans le milieu pour mobiliser les personnes souffrantes. Ça se peut que les case-loads des intervenantEs soient surchargés. Ça se peut qu’on ait de la difficulté à sortir du modèle hospitalo-centriste et bio-médical. Ça se peut qu’il y ait des décideurs qui ne trouvent pas important de rendre le séjour à l’hôpital moins pénible en offrant plus d’activités variés et plus d’espace. La réalité c’est aussi et surtout qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent et qui ne se sentent pas vraiment supportés et mis à contribution dans leurs propres soins.

On ne se laissera pas se faire emprisonner par la réalité des compressions budgétaires, du manque de personnel, des modèles d’intervention, des lois et des pratiques institutionnels qui existent maintenant et  moduler nos demandes en fonction de cela. Ce qui peut paraître impossible maintenant, va un jour, devenir possible. Nos revendications doivent se faire en fonction des besoins de nos usagers-ères, pas d’un supposé réalisme, qui, de fait, ne peut être qu’une concession au statu quo.

Notre local sera un lieu d’organisation de la lutte pour transformer le réseau ici sur le territoire lavallois, un réseau qui respectera intégralement les droits des usagers-ères, un réseau qui servira de référence pour l’ensemble du Québec, voire du monde entier. Par exemple, le 30 mai prochain, L’En-Droit accueillera Représentaction Laval dont le but est de construire une parole citoyenne collective des personnes avec un problème de santé mentale et changer le réseau.

On a un réseau et une société à transformer.

On doit s’organiser pour ce faire

On a notre nouveau local pour ce faire

La bataille continue