Alors qu’il y a un discours dominant qui encourage l’autonomie et la responsabilisation individuelle, dans le cas des personnes qui ont ou qui ont eu un problème de santé mentale, les choses sont différentes. Être responsable, ce n’est plus faire des choix et en vivre les conséquences mais plutôt se soumettre à un diktat de psychiatres et d’équipes soignantes omniscientes capables de déterminer les « vrais besoins » et les « vrais demandes » des personnes ayant un problème de santé mentale. A-t-on affaire avec une psychiatrie télépathique? Ou encore des dieux? Quoiqu’il en soit, le verdict des usagers-ères est qu’ils et elles se fassent infantilisés et qu’ils et elles n’ont pas le droit de faire leurs propres expériences (y compris leurs propres erreurs) pour améliorer leur santé.
On peut comprendre que les ressources matérielles et financières allouées à la santé mentale ne sont pas extraordinaires. On peut comprendre que le réseau de la santé peut répondre difficilement aux besoins de tout le monde. En même temps, quand on laisse entendre que les usagers-ères ne sont pas responsables dans leur choix, on ne crée pas les meilleurs conditions pour éduquer les usagers-ères à faire des choix, apprendre à vivre avec certaines erreurs et trouver des solutions ailleurs que dans le réseau de la santé. Un bon accompagnement est éducatif. On dit souvent qu’il vaut mieux apprendre à pécher plutôt qu’à donner le poisson. Ceci ne veut pas dire « Débrouille-toi tout seul, tu n’auras plus de poisson » mais plutôt, « Les pilules, les thérapies, les intervenantEs ça a une limite; on doit se fier sur soi, son expérience et son réseau social aussi ».
À l’hôpital, on met en jacquette, le cul à l’air, les patientEs un peu trop dérangeantEs. Semble-il, il faudrait que ces « délinquantEs » réalisent qu’ils ont un problème de santé mentale, se « responsabilisent » en ce sens et se soumettent béatement, sans mots dire, à l’omniscience des psychiatres et du personnel hospitalier. Le fait qu’on se sente humilié et infantilisé traité comme des jeunes imbéciles écervelés n’est pas vraiment pris en compte. En fait, le rabaissement ne fait qu’accroître le sentiment de perte d’estime de soi, ce qui contribue davantage à la déresponsabilisation de la personne. « Ils choisissent pour moi. Pourquoi m’investir dansle choix d’un traitement qui ne répond pas à mes vrais besoins? »
CertainEs invoquent la question de la sécurité pour expliquer la mise en jaquette. Quand ça fait une semaine qu’on est dans le département et qu’on se fait mettre en jaquette, l’argument ne tient pas vraiment. On peut cependant comprendre que, pour la sécurité du personnel, on doit s’assurer qu’une personne ne soit pas admise avec des objets dangereux. Mais, dans un hôpital, on parle d’interventions pour soigner et si l’Intervention en vient à nuire à la construction d’un lien de confiance et d’une alliance thérapeutique et si on braque l’usager ou l’usagère et on la traite comme un bandit violent, unE agresseur potentielLE, aussi bien ne pas l’amener à l’hôpital. Des détecteurs de métal, ça existe. L’intelligence dans l’intervention, ça peut aussi exister.
Il y a aussi la question des cigarettes qu’on interdit. Il y a un interdit légal et des lois. Mais il y a aussi le fait que ce ne sont pas touTEs les usagers-ères qui sont à l’hôpital de plein gré. On peut admettre que la dépendance à la cigarette (tout comme celle au sucre et à la caféine) est un problème de santé. On sait aussi que la cigarette enlève du stress selon les personnes qui en prennent. La plupart des médicaments psychiatriques, si pour plusieurs usagers-ères, aident à leurs soins, ils comportent souvent des effets secondaires très indésirables.
Le paternalisme thérapeutique est un problème. On va décider d’empêcher les personnes parce que c’est mieux pour leur intérêt. En même temps, pour celles et ceux qui se soumettent complètement aux directives du département, on va leur permettre des sorties temporaires supervisées pour vivre leur petit vice. Le contrôle de la consommation de cigarette devient du contrôle social, ce qui renforce l’infantilisation des usagers-ères.
Dans le monde juridique, on sait que l’enlignement se fait de plus en plus dans le respect de l’autonomie des gens peu importe les domaines, on n’a qu’à regarder les tendances dans les jugements en cour suprême. D’ailleurs, une réforme des régimes de protection (la Curatelle) est en branle et suit cette tendance.
Selon l’actuel article 257 du Code civil, « toute décision relative à l’ouverture d’un régime de protection ou qui concerne le majeur protégé doit être prise dans son intérêt, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie. » Dans les faits, et les employéEs du Curateur nous le disent, on prend surtout en compte, l’intérêt de la personne et on secondarise les droits et l’autonomie. Les employéEs de la Curatelle nous disent qu’on tiendra compte davantage du respect des droits et de l’autonomie, pas juste l’intérêt de la personne (qui est souvent l’intérêt de certains proches et celui du réseau). Une fois la réforme mise en œuvre, il n’y aura plus de curatelle mais seulement des tutelles modulées.
Si on est prêt à dire que la catégorie d’incapacité totale et permanente ne s’appliquera plus, il est bizarre que les pratiques pour des gens qui ne sont pas sur curatelle soit encore aussi infantilisante. En toute logique, on doit apprendre à vivre et à exercer son autonomie pour la réaliser effectivement. Si une tutelle est temporaire et partiel, on peut travailler sur des éléments pour la lever d’où le droit à l’autonomie. Si c’est vrai pour les régimes de protection, cela devrait l’être pour celles et ceux qui ne sont pas sous tutelle.
À moins que les autorisations judiciaires de soin et les gardes en établissement soient des tutelles déguisées sans la même lourdeur juridique qu’implique l’ouverture d’un régime de protection. Si c’est le cas, on détourne complètement le sens de ces interventions délimitées dans leurs effets.
Un adulte a un plein exercice de ses droits et a droit à son autonomie. On reconnait de plus en plus aux adolescentEs de tels droits. En toute logique, ce qui se fait dans un département psychiatrique devrait plus avoir affaire avec des soins plutôt qu’à du contrôle social infantilisant pour dompter des délinquantEs. Une telle approche donne déjà des résultats peu heureux pour les ados en centre jeunesse, pourquoi l’appliquer dans des départements psychiatriques?
Si le problème est qu’ils n’ont pas de ressources et qu’on doit faire avec l’espace disponible et les équipements disponibles, ça part mal l’intervention et ça en décourage beaucoup qui voudraient peut-être aller dans le département. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des interventions qui doivent se faire contre le gré de la personne. Mais les interventions donneraient de meilleurs résultats si on tenait compte sérieusement des droits et de l’autonomie de la personne plutôt que du seul intérêt de la personne
On a beau nous parler de primauté de la personne, de rétablissement, de l’exercice d’une pleine citoyenneté et de plein d’autres beaux principes, encore faut-il que cela soit appliqué. Se sentir respecté, pris en compte dans les soins, écouté sérieusement, ça contribue positivement au développement de l’estime de soi. Toutes les mesures infantilisantes et dégradantes, objectivement, ne contribuent pas du tout à cela. Les beaux principes c’est le fun. Ça serait plus intéressant s’ils étaient vraiment incarnés et qu’on réalise vraiment le droit à participer des patientEs (qu’on trouve dans la Loi sur la Santé et les Services Sociaux). Mais quand on les voit comme des mineurs écervelés, quand on les infantilise, les principes prennent le bord.