Lettre d’opinion

Isolement et contention en psychiatrie : espoir à l’horizon?

En 2002, sur la base d’« expériences probantes », le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) concluait à la nécessité de réduire, voire d’éliminer les mesures de contrôle que sont l’isolement, la contention et les substances chimiques.[i]

Une mesure de contrôle n’est jamais thérapeutique. L’isolement et la contention ont des effets néfastes physiques et psychologiques sur les personnes qui les subissent, sur celles qui les appliquent ainsi que sur celles qui assistent à leur mise en application. Tous ces impacts négatifs ont été documentés dans une formation conçue par le MSSS[ii].

Plus récemment, l’ONU précisait que les mesures de contrôle peuvent constituer des actes de torture ou des mauvais traitements[iii].

Pourtant, à Laval, la pratique de notre organisme sur le terrain démontre que l’on recoure encore et toujours aux mesures de contrôle, notamment en santé mentale. Ces mesures passent par l’injection forcée de médicaments perçue par les usagers comme très assommants, de longs séjours dans des salles d’isolement en jaquette d’hôpital, des prises de soumission, l’attachement sur des lits mais aussi la privation de tabac (cigarettes) alors qu’on sait que les sevrages sont très difficiles. Ces pratiques barbares existent bien souvent parce qu’on n’utilise pas des alternatives. Par exemple, à la salle d’isolement, il devrait exister la salle d’apaisement. Pour ce qui est de la consommation de tabac, il y a quelques années, le département psychiatrique de l’Hôpital Cité de la Santé permettait aux usagers des ailes fermées de fumer dans des jardins clôturés attenant à ces ailes, tout en empêchant ainsi les évasions. Aussi, dans le passé, quand les usagers vivaient des moments émotionnellement difficiles, il existait des possibilités pour pouvoir s’apaiser comme des bicyclettes stationnaires. Tout cela n’existe pas ou a été aboli sous prétexte de manque de ressources ou de budget. On parle quand même de séjours rarement souhaités par les usagers.ères.

Bien sûr, ces situations ne se déroulent pas qu’à Laval. Un peu partout au Québec, l’utilisation de l’isolement et de la contention se fait dans des contextes qui ne respectent pas la Loi sur les services de santé et les services sociaux (article 118.1) du Québec. Il semble que le respect des droits fondamentaux des personnes séjournant dans des départements psychiatriques ne représente pas une valeur fondamentale à l’Hôpital Cité de la santé de Laval ainsi que dans l’ensemble du Québec

Par exemple, différents moyens sont mis en place par des établissements afin de contourner les prérogatives de la Loi en matière d’isolement. Les droits à l’information et au consentement sont régulièrement bafoués. Ou encore, les notes au dossier de la personne concernée sont souvent laconiques. Dans un rapport annuel récent, la Protectrice du citoyen déplorait que certains établissements qui se servent des médicaments à titre de mesure de contrôle n’encadrent toujours pas leur utilisation. [iv]

Comment en sommes-nous arrivés là, considérant qu’en 2002, le MSSS exposait déjà la nécessité de réduire, voire d’éliminer les mesures de contrôle, sur la base d’expériences concluantes? N’est-il pas aberrant qu’une personne qui nécessite des soins se voie appliquer des mesures de contrôle n’ayant aucune vertu thérapeutique par une personne dite soignante?

Pourtant, des alternatives existent. Certains milieux ont mis en place des initiatives intéressantes, mais elles demeurent peu connues, faute d’un leadership qui assurerait un échange d’expertise adéquat pour tout le Québec. Ainsi, dans sa parution, « Psychiatrie : un profond changement de modèle s’impose », l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) recense plusieurs mesures alternatives. [v]

En ce 15 mai 2022, nous soulignons la 7e Journée nationale “Non aux mesures de contrôle”. Cette journée permet de placer l’enjeu des mesures de contrôle dans l’espace public et de revendiquer que le MSSS reprenne le leadership dans ce dossier. Deux recommandations sont essentielles à cet égard. D’un, le poste de coordination ministérielle aux mesures de contrôle doit être réactivé (il a été aboli de manière incompréhensible il y a plusieurs années); de deux, le MSSS doit dépoussiérer sa promesse de mettre en place un outil de collecte de données standardisé, car sans données significatives, comment peut-il y avoir une quelconque reddition de compte vis-à-vis l’objectif de réduction et d’élimination? Au niveau local, nous demandons à l’Hôpital Cité de la Santé de présenter des mesures crédibles pour limiter considérablement ce qui est perçu comme de la torture par nos usagers.ères et qui le serait par n’importe quel citoyen lambda placé dans de telles situations, notamment, le simple droit de fumer dans les jardins clôturés comme cela se faisait avant pourrait aider à rendre la situation beaucoup plus tolérable dans le département psychiatrique pour les usagers fumeurs.

En espérant que notre voix sera entendue et que des actions politiques et institutionnelles seront posées afin de soutenir un changement de culture organisationnelle dans tous les milieux qui ont recours aux mesures de contrôle. C’est une question incontournable et primordiale de dignité humaine.

Richard Miron, coordonnateur de L’En-Droit de Laval

 

[i] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Orientations ministérielles relatives à l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle : Contention, isolement et substances chimiques, 2002, page 14.

[ii] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Programme de formation Vers un changement de pratique afin de réduire le recours à la contention et à l’isolement, 2006

[iii] ONU, Le Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan E. Méndez, A/HRC/22/53, 26 pages, 1er février 2013.

[iv] PROTECTEUR DU CITOYEN, Rapport annuel d’activités 2020-2021, septembre 2021, page 112.

[v] AGIDD-SMQ, Psychiatrie : Un profond changement de modèle s’impose, 2019. Peut être retrouvé : http://www.agidd.org/wp-content/uploads/2018/12/Psychiatrie-brochure.pdf