La parole est d’argent, mais le silence est d’or!

par Denis Chartier, conseiller en défense des droits

La semaine dernière*, j’accompagnais madame Hubert* au Palais de justice de Laval. Madame Hubert était accusée d’avoir fait un excès de vitesse sur l’Autoroute 440* le 20 juillet 2020* et, en conséquence, on voulait lui imposer une amende de 200$*. Malgré que la preuve présentait une photo radar où on voyait très bien son automobile ainsi que sa plaque d’immatriculation, madame Hubert était persuadée qu’elle n’avait pas commis cette infraction et voulait la contester, seule, sans avocat.

Pour la préparer à cette audition, madame Hubert m’a raconté son histoire. Nous avons fait le tri dans les choses qu’il fallait dire et les choses qu’il n’était pas nécessaire de dire… Aussi, nous avons discuté sur comment dire les choses et comment ne pas les dire…

Madame Hubert m’a expliqué que le matin où on l’accuse d’avoir fait un excès de vitesse elle allait suivre un cours de croissance personnelle* à Montréal* et qu’alors elle passait généralement par le boulevard Lévesque* pour aller stationner son auto au Métro Cartier et prendre le métro par la suite, mais qu’elle ne souvenait pas exactement si ce matin-là elle est vraiment passée par le boulevard Lévesque.

‘’Elle ne se souvient pas‘’ voilà quelque chose à ne pas dire devant un juge! Dire devant un juge qu’on ne se souvient pas de quelque chose d’important qui pourrait vous incriminer vous fait perdre toute crédibilité à ses yeux, d’autant plus que si vous vous ne vous en souvenez pas, la photo radar, elle, s’en souvient … Le juge n’aura alors d’autre choix que de vous condamner. Vous aurez perdu!

Attention, je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut mentir à un juge, tout au contraire. Cela serait commettre un parjure qui pourrait même vous conduire en prison pour un petit moment… Il faut donc toujours dire la vérité à un juge, mais vous n’êtes pas obligé de parler de quelque chose dont vous ne vous souvenez pas exactement, à moins que quelqu’un, le juge, le procureur de la couronne ou votre avocat, vous pose directement la question.

Juste avant l’audition, après que la greffière ait appelé madame Hubert à la barre, la juge lui a conseillé d’aller discuter et négocier dans une petite salle avec la procureure de la couronne. Madame Hubert m’a alors regardé avec un regard interrogatif et je lui ai fait signe d’accepter cette proposition. Dans cette petite salle, madame Hubert a expliqué à la procureure de la couronne que ce matin-là, elle allait suivre un cours de croissance personnelle à Montréal. Bien préparée, elle a présenté une photocopie de son agenda qui mentionnait qu’elle avait effectivement un cours ce matin-là. Elle a aussi produit un document qui décrivait le cours en question, ce qui la rendait encore plus crédible. Puis, elle a raconté avec beaucoup d’assurance qu’elle passait généralement par le boulevard Lévesque pour aller au métro Cartier, sans mentionner qu’elle n’était pas certaine d’avoir emprunté l’Autoroute 440 ce matin-là. Elle a plutôt dit que la photo radar devait être due à une erreur du système ou à quelque chose de ce genre là… ce qu’elle croyait vraiment.

La procureure de la couronne, voyant que l’explication de madame Hubert semblait très plausible et qu’elle témoignait avec beaucoup d’assurance, lui a finalement dit qu’elle irait dire à la juge et qu’elle abandonnait la poursuite. Voilà! C’était gagné! Mais madame Hubert, toute heureuse et toute pleine d’enthousiasme, allait se lancer dans une longue série d’arguments supplémentaires pour tenter de convaincre encore d’avantage la procureure de la couronne. Je l’ai aussitôt arrêtée! Je lui ai dit de dire merci à la procureure de la couronne et que l’on partait sur le champs.

Il est en effet très dangereux de continuer d’argumenter alors qu’on vous a déjà donné raison, que ce soit devant la juge ou devant la procureure de la couronne. Il faut alors avoir la sagesse de vous taire et de ne pas risquer, dans votre élan d’enthousiasme, de dire quelque chose qui pourrait vous faire perdre la crédibilité déjà acquise et faire que la juge ou à la procureure de la couronne change d’idée… Devant la juge ou devant la procureure de la couronne, souvenez-vous toujours que si parfois la parole est d’argent, souvent le silence est d’or. Ça, c’est un conseil d’ami!

(*Les noms, les lieux et les dates ont été changés pour faciliter le récit et protéger la confidentialité à laquelle tout usager et usagère a droit.)